Il y a du Chopin en fond.
Cet homme, t’as toujours trouvé que c’était un crétin. Alors pour te punir de critiquer ce pauvre martyr, il faut croire que l’on a décidé de t’enfermer à ses côtés.
Et toute la sainte journée, tu l’entends.
Tu l’écoutes.
Et tu le hais.
Voilà quelques jours que t’es installé, encastré tel un objet dans cette cage doré. À marmonner lorsque tu es seul les notes composées par un homme que tu supputes être un artiste raté.
C’est qu’elles tournent en rond.
Qu’elles finissent par t’obséder et qu’un jour elles te pousseront à sauter si le cd n’est pas changé.
L’on rentre dans ton antre.
«
Bonjour, Madame. »
Tu scrutes du coin de ton œil la cliente fraîchement arrivée. Prêt à sortir la coupelle aux pourboires bien que tu saches que cela inutile. Tu ne saurais la catégoriser, dire d’où elle vient, ce qu’elle fait.
— dix-huitième étage s’il vous plait. Lèvres plissées, tu te retiens de te répéter tes salutations distinguées. Répéter pour que ça rentre. Mais finalement, tu peux pas leur en vouloir à ces gens-là. Tu te fonds si bien dans cet ascenseur de malheur qu’on pourrait croire que t’as été livré avec.
«
Certainement. »
Un léger sourire qui remplace bien vite tes arrières pensées, tu refermes les portes devant vous, prêt à léviter. Car malgré les quelques ingratitudes que tu essuie, ton travail n’est pas des plus fatiguant. Saluer, refermer les portes, appuyer sur un bouton. Rouvrir, saluer à nouveau.
C’est un rythme simpliste.
Sauf qu’aujourd’hui tout s’arrêta, net.
Écho bruyant dans la cage aux rouages, jeux de lumières. Tu ne réagis pas immédiatement, il n’y a pas de quoi s’en faire. Ça peut arriver.
— je peux avoir une explication ?Tu hausses les épaules, te tournant vers elle. Elle a clairement pas l’air amusée. Il n’y pas de quoi rire aux éclats, même toi tu trouves rien à redire. Car tu te poses la même question.
«
Et bien, je pencherais pour une panne? »
Et tu la regardes de la tête aux pieds, réfléchissant.
«
On a clairement pas dépassé le poids autorisé, curieux. »
Et entre quelques mots, ça te percute, tu l’entends. Le silence. Chopin a enfin eu la tête coupée dans l’incident. Tu pourrais en pleurer. De joie. Mais le moment n’est pas à tes pérégrinations intérieures.
La cliente devant toi semble impatiente, pressée.
«
Il suffit d’appuyer sur le bouton d’urgence prévu à cet effet… »
Mais ça aussi c’est ton boulot. Appuyer sur tous les boutons. Alors tu t’exécutes, un large sourire dissimulé par ton masque étiré. Le doigt appuyé, tu attends que quelque chose se passe.
Encore.
Et encore.
Alors tu finis par le bourriner du bout de l’index, comme pour le réveiller. Mais rien ne se passe. Tout n’est pas toujours simple. Tous les jours ne sont pas de belles journées.
Ceci en est la preuve.
Tu te tournes à nouveau vers elle, un sourire crispé.
«
On est coincés. Je préviens tout de suite, je suis garçon d’ascenseur pas mécanicien. »